lundi 16 septembre 2013

Fils-à-Manants

Portefeuille - 
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Après près de quatre mois certes peu ou prou estivaux, la chose s'est enfin produite. Vagabond sans taule fixe, comme je vous l'indiquais il y a peu, me voici enfin revenu dans le droit chemin de la domestication sereine d'un lieu qui m'accepte, m'accueille, me réjouit. Comme souvent, pour ce faire, j'ai du battre du pied en de multiples échoppes, m'encombrer la tête en complexes pesées des pour et contre, jusqu'à oublier complètement qu'en élection-de-zinc comme en amour, les équations les plus savantes servent avant tout à remplir les manuels, c'est-à-dire à produire du Vent.

Bon Dieu. Tout ce temps, pas vrai ? Pour la bonne bouche, cela dit, permettez-moi donc de vous informer que depuis la rédaction de mon émouvant "Rébou-Sans-Famille", au titre tout à fait consternant - soit depuis le 26 mai dernier -, j'ai sillonné dans tous les sens, en des états variés, les rues pourtant bien achalandées en rades et débits de boissons de mon nouveau quartier, en quête de quelque chose qui ne serait ni mon ancien-presque-chez-moi (puisque ce dernier n'avait pas survécu dans le champ des possibles à mon déménagement), ni un nouveau-QG-par-dépit, parce que faute de grive on croque de la vache enragée.

J'avais listé, de manière quasi-exhaustive - tant il est connu que confronté au chaos, l'Homo Sapiens dans toute sa docte crétinerie tente de rationaliser même ce qui relève de la plus accessible magie -, les critères incontournables d'éligibilité comme de disqualification de tel ou tel lieu. A savoir :

1. Ne pas se situer au pied de l'appartement 
(parce que même "descendre boire un coup" ne peut se concevoir décemment 
sans un petit trajet aller propice à la méditation, 
et un bref cheminement retour propice à la divagation.)
2. Ne pas nécessiter pour être atteint le passage par les transports publics 
(faut pas déconner quand même.)
3. N'être ni désert (autant rester chez soi sinon), 
4. ni surpeuplé 
(c'est-à-dire "à la mode", l'enfer puisque l'on risque d'y croiser des visages connus, 
ou bien "usine", l'ennui puisque l'on risque d'y côtoyer d'autres inconnus sans imagination),
5. ni adopté par une quelconque connaissance 
(selon le principe classique du Yalta, coexistence pacifique, théorie des dominos et tout le toutim.)
6. N'être ni trop cher (parce que nous sommes pauvres), ni trop... ah non, ça, ça va.
7. Etc.

Conséquence programmée : je dispose désormais dudit quartier, en termes d'espaces limonadiers en tout cas, d'une connaissance encyclopédique autant qu'inutile. J'ai été révulsé par certains lieux, au sens presque organique du terme (comme par celui-ci, suspect à plus d'un titre et notamment par celui-même de l'établissement, où j'eus le malheur de capter au vol l'échange suivant, terrible : "Sérieusement, tu travailles dans l'audiovisuel ? Oui, mais à la télé. C'est dingue, moi aussi je bosse dans l'audiovisuel, et tu y fais quoi ? Je suis DA d'une chaîne en fait ; mais d'une petite, hein, hu hu hu."), et positivement intrigué par d'autres, auquel il manquait pourtant, je ne sais pas, un quelque-chose qui par définition ne pouvait tenir dans mes fiches, puisqu'il était impossible à transcrire. La négation des fiches, précisément - le vrai hors-piste, le confort dans l'imprévu brut, un quelque-chose comme ça.

Jusqu'au Café Schneider (nom fictif, hein, comme tous les suivants), sis rue Schneider dans le coin où je crèche. Qui avait servilement coché sans même le vouloir l'ensemble des bonnes réponses à mon QCM mental, poussant même le vice jusqu'à mériter administrativement la dénomination de "bar d'hôtel" à laquelle je n'avais pourtant pas pensé - puisque les kabyles qui le tenaient géraient également les quelques chambres à l'année le surplombant -, voire se parer d'autres particularités à mes yeux tout à fait saisissantes - comme celle consistant à ne diffuser que FIP à longueur de journée, sans discontinuer, revendiquant même de n'avoir jamais tourné le bouton du tuner, ce qui fournissait à l'ensemble une petite atmosphère "habitacle de bagnole pendant un embouteillage", à dominante musicale, tout à fait seyante à ce type d'endroit.

Et pourtant, je rechignais encore, arguant que j'habitais encore trop près, qu'à mes quelques passages les seuls quatre visages identiques m'y avaient accueilli des deux côtés du bar, que ce pourtant drôle d'endroit violait sans même sembler en avoir honte au moins les points 1 et 3 de la liste ci-dessus, etc. Cela dit, relent de snobisme oblige je dois bien le confesser, ma pratique professionnelle récente m'ayant poussé à fréquenter pour un guide quelconque les fastes tape-à-l’œil de quelques rutilants zincs de palaces, l'idée d'établir mes quartiers de lecteur-buveur en un "bar d'hôtel" qui l'était bel et bien tout en se situant pourtant, conceptuellement, à des lieues de ce que pourrait imaginer à l'énonciation de ce label un visiteur auquel j'y aurais donné rendez-vous, me plaisait sans commune mesure. 

Qui plus est, dans une rue disposant encore de quelques chouettes lieux de vie, mais de plus en plus envahie pourtant par la lie entrepreneuriale d'une troupe de "branchés" (par pitié, disqualifions ce mot pour toujours), c'est ici que se concentrait déjà le vrai luxe, et qu'il s'y concentrerait sans doute de manière exponentielle. Très exactement : juste en face du Time, ce joli club select rebâti à grands renforts de communication sur les ruines encore fumantes du Ragtime, et auquel les nouveaux tenanciers avaient retranché le préfixe "rag", sans doute trop négativement connoté, le vidant du même coup de toute son histoire tout en espérant le remplir sans attendre de (pas-si-)jeunes dans le Vent.

Je rechignais donc, sans trop savoir pourquoi, jusqu'à ce qu'il y a précisément dix jours, un vendredi soir où mes pas mal assurés de travailleur en week-end m'avaient propulsé rue Schneider en compagnie de quelques dignes poissons-pilotes, le hasard m'offrit sur un plateau un gros portefeuille abandonné au sol, bien chargé de paperasses et cartes diverses, par - je le craignais - un autre moi plein de sa propre vacuité autant que de bière blonde. Je le ramassai, attendis quelques secondes, puis le remisai en poche avec l'idée d'en retrouver le propriétaire, après fouille minutieuse, le lendemain.

Le jour suivant, pourtant, cet autre moi tant redouté, s'il avait sans doute également trop bu la veille au soir, se mit à présenter au fur et à mesure de mon attentive dissection de son larfeuil, un visage tout à fait différent. Carte de séjour, fiches de paie datant d'un an établies par quelque officine de travail précaire, notes en tous sens et listes de numéros de téléphone aux indicatifs inconnus. Un nom ("Ibrahim Diawara" disons), aussi, un numéro de portable (hors service) et une adresse mail, à laquelle j'adressai quelques mots rapides (mentionnant seulement le fait en tant que tel - "j'ai trouvé votre portefeuille" -, une localisation - la rue Schneider - et mon nom) en attendant, le lundi suivant, de profiter de l'ouverture des bureaux pour passer quelques autres coups de fil. Qui s’avéreraient, à leur tour, parfaitement stériles, mes interlocuteurs (ses anciens employeurs, son avocat, etc.) ne se rappelant aucunement qui pouvait bien être ce type, ou rechignant plus vraisemblablement à l'idée de consacrer deux secondes à tenter de s'en souvenir. Ah, si tout de même, une réponse pour le moins consternante, celle de cette femme, tenancière d'un magasin d'hommes de ménage visiblement qui, pour s'assurer que le Diawara en question n'était pas de ses employés, m'a demandé d'attendre un instant avant de lancer à un type qui passait par là : "Eh, toi, tu t'appelles comment ?" - charmant.

Chou blanc aussi du côté de ma messagerie électronique. La messe était dite de mes compétences de détective privé, et ce gros objet noir - qui l'aurait moins été, gros, s'il ne m'avait pas paru contenir une vie entière, et pas des plus insouciantes - semblait voué à trôner comme un échec patent sur mon bureau, pendant un temps indéterminé.

Une semaine plus tard, le samedi suivant, le portefeuille toujours abandonné, orphelin, entre deux piles de livres à proximité de mon ordinateur, je décidai, l'esprit ailleurs, de descendre en plein après-midi flâner un peu. Rapidement, on ne se refait pas, je me retrouve rue Schneider, et au café du même nom, devant un bouquin et une bière. Un peu de temps passe (je recommande un demi) et, tandis que j'étais déjà imprégné dans ma lecture autant que dans une légère torpeur d'orge, me parvient enfin la troisième question répétée d'un nouvel arrivant, auquel je n'avais pas prêté attention, mais qui se heurte encore une fois à la perplexité des quatre-visages-identiques mentionnés plus haut.

- Connaissez-vous un Gérard Latunier ?... LesTourier ?... Letalion peut-être ?

Visiblement né ailleurs qu'en Hexagone, le type peine à bien prononcer le patronyme de celui qu'il recherche, quête a priori perdue d'avance. Pour autant, étant le plus susceptible en ces lieux et dans cette situation - un Noir posant une telle question à des Kabyles -, de porter ce type de patronyme et, mieux encore, mon prénom étant précisément Gérard - un prénom au charme désuet, certes, et très très français-de-souche dans son genre, mais pas si courant finalement -, je saisis soudain l'évidence : le type traqué n'est autre que Gérard Letaulier, premier du nom, votre serviteur. Et, selon tout logique, l'enquêteur Ibrahim Diawara, qui avait mystérieusement préféré passer son samedi à soumettre des variations sur mon nom de famille dans tous les bars de la rue plutôt que de répondre à mon message.

Je me présente, note son soulagement (je le comprends, il y a vraiment tout dans son portefeuille), et cours chercher chez moi ce dernier - preuve s'il en fallait, de la pertinence, aussi, du point 2 de ma liste de critères -, tandis qu'il patiente au bar avec la bande d'habitués, visiblement aussi ravis qu'Ibrahim, et que moi-même, de l'incongruité comme du dénouement heureux de la petite saynète (qui, pour les deux premiers, aura duré une semaine inégalement riche en affres et espoirs déçus.)

- Ok, Gérard, jolie, ta petite histoire, mais en quoi cette anecdote t'a-t-elle convaincu de poser tes valises au Café Schneider, finalement ?

- Parce que je n'attendais que ça, je pense. Qu'indépendamment de toutes les discrètes qualités du lieu (son emplacement, son atmosphère, euh... FIP), j'attendais précisément, je pense, que se déroule en ce type de lieu précisément ce qui venait de s'y passer. Qu'il devienne le cadre d'une belle anecdote.

- D'accord, mais la chose aurait pu se passer n'importe où, non ?

Précisément non. En l'occurrence, si le lieu avait été trop désert, le type n'y serait pas rentré, ou ne s'y serait pas attardé. Trop plein, je ne l'aurais pas entendu. Mais ce n'est pas tout. Me remerciant chaleureusement, presque désolé de ne pas pouvoir mieux me récompenser, Diawara m'a tendu, presque gêné, une pièce de deux euros, que je n'ai pas osé accepter. Comme il insistait, le patron a lancé : "Paie lui un verre, et ça ira." Il a souri, et m'a commandé une bière. Qui coûtait deux euros vingt. Derrière le bar, le type a pris ses deux euros sans rien dire, et servi la bière. L'atmosphère qui régnait, à cet instant précis, était pleinement réjouissante.

Quelques minutes plus tard, Diawara était parti, et un des vieux habitués, tout sourire, m'a offert un autre verre. Il était 17h15 environ, et tout cela me semblait aller un peu vite. Après tout, je n'étais pas parti pour boire plus que de raison, ayant des routines plutôt convenues en termes d'alcoolisation (plutôt le soir, sauf exception), et la tournure que prenait ce qui, finalement, n'avait pour vocation que d'être éventuellement une anecdote pour quelques instants de la communauté locale, me paraissait terriblement imprévue.

Tout l'intérêt réside ici, d'ailleurs : ce n'était pas prévu.

jeudi 1 août 2013

Princes incognito, par Antoine Blondin

"Funambule" (?!?) - 
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On m'avait dit que ça me plairait forcément. J'y avais tellement cru que je m'en étais tenu sagement à l'écart, comme d'un cousin stellaire qui aurait réussi là où je n'arrivais à rien. C'est donc, classiquement, par Un singe en hiver (La Table Ronde, 1959) que je viens d'entrer de plain-pied dans Antoine Blondin. Et, comme prévu, ça fait bang.

"Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait pas le vin mais l'ivresse. Comprends-moi : des ivrognes vous ne connaissez que les malades, ceux qui vomissent, et les brutes, ceux qui recherchent l'agression à tout prix ; il y a aussi les princes incognito qu'on devine sans parvenir à les identifier. Ils sont semblables à l'assassin du fameux crime parfait, dont on ne parle que lorsqu'il est raté. Ceux-ci, l'opinion ne les soupçonne même pas ; ils sont capables des plus beaux compliments ou des plus vives injures ; ils sont entourés de ténèbres et d'éclairs ; ce sont des funambules persuadés qu'ils continuent de s'avancer sur le fil alors qu'ils l'ont déjà quitté, provoquant les cris d'admiration ou d'effroi qui peuvent les relancer ou précipiter leur chute ; pour eux, la boisson introduit une dimension supplémentaire dans l'existence, surtout s'il s'agit d'un pauvre bougre d'aubergiste comme moi, une sorte d'embellie, dont tu ne dois pas te sentir exclue d'ailleurs, et qui n'est sans doute qu'une illusion, mais une illusion dirigée... Tu vas imaginer que je fais l'éloge de l'ivresse parce que Fouquet traverse une mauvaise passe actuellement et que ce garçon me plaît bien, en cela tu auras raison pour une bonne part ; autrement, je ne me permettrais pas d'agiter ce spectre devant toi, que j'ai tant tourmentée autrefois et qui m'as entouré d'une façon si vaillante.

(...)

Je doute qu'il ait jamais vraiment envie de boire. Ne ris pas... Représente-toi plutôt un promeneur qui aperçoit brusquement un couloir somptueux et s'y engouffre parce que rien ne le retient de l'autre côté de la rue."



mardi 23 juillet 2013

Live and let... fade

"Transparence" - GI Arts 07/13





Un beau jour (ou peut-être une nuit), le cousin de la copine d'un mec que j'avais croisé une fois (c'est vous dire si nous étions intimement liés) m'a raconté qu'un mec lui avait dit (c'est vous dire s'il assumait ses propres propos) que "franchement, les gars qui font les malins dans les bars, c'est toujours un peu ridicule" (c'est vous dire si nous avions grand chose à nous raconter.) Je suis rentré dormir, évidemment.

Pourtant, dans cette phrase d'une intelligence crasse, d'une hauteur coléoptérique, résidait quand même un truc autour duquel j'ai gambergé pas mal, tel le moustique sauvage, mais sans trop m'en rendre compte, tel le même moustique confronté pour la première fois de sa courte vie à une lampe à pétrole (allumée), tournant autour pendant un temps sans se soucier vraiment de savoir si sa trajectoire obsessionnelle autour de la petite flammèche relève toujours du vol aléatoire (ce qu'il suppose encore, le petit couillon), ou plutôt d'une sorte de programme bien niché dont il n'a pas connaissance (un moustique, quoi.)

Une portion de l'affirmation, en particulier, avait pourtant concentré en loucedé mon attention : "les gars qui font les malins dans les bars" - c'était une portion de lion, d'accord. Je me demandais, comme ça, tout en faisant mes courses en pensant à autre chose, comme-ci, tout en commandant une bière, de la sorte, l'esprit tout entier préoccupé par une série idiote ou le métier qui me permet de payer le loyer, je me demandais : "franchement, je... franchement, faire le MALIN dans un bar, franchement ?" (j'aimais bien le mot "franchement" à l'époque. J'ai bien changé.)

Parce qu'attendez, quand même, oui, bien sûr, des gens qui font les malins dans les bars, comme un peu n'importe où d'ailleurs, qui parlent fort, font rouler agressifs leurs goitres comme de la matière musculeuse abonnée aux concours de body-building, qui attaquent fort tout de suite, offensifs, jonglant des mots ou imposant tours de magie, dénichant folles anecdotes ou focalisant regard de braise en direction d'unetelle, nous en avons tous croisés. Nous leur avons même parfois servi la soupe, à la pompe ou en paroles. Certes, certes. Pour autant : faire le "malin", dans un "bar", vraiment ? Comme s'il était question, pour de vrai, et accoudé au zinc, de "briller", de "prendre de la hauteur", voire de "se distinguer pour dominer la foule", vraiment ? Dans un bar ?!

Comprenons-nous, là encore. Même si finalement, à force de reporter l'explication, j'ai bien fini par ne rien en conclure, je pense que vous avez peu ou prou compris de quels bars nous parlons ici. Pas des lieux où parler fort confère une toge sans consigne, ni de ceux où se recroqueviller dans un coin muni d'une belle CB vous permet de continuer à rêver un peu. Non, nous parlons ici du brut, de l'étonnant, du détonant parfois bien sûr, mais au sein duquel les aspirations personnelles n'ont ni vraiment droit de cité, ni vraiment l'occasion d'être définitivement enterrées. Où vos petits malheurs, toujours susceptibles d'êtres relativisés mais toujours, pour autant, dignes d'un intérêt égal - c'est à dire moyen, discret, mais indéfectiblement présent - ont droit de cité tout autant qu'obligation de n'être pas invoqués comme une excuse décente au fait de s'en soulager un peu trop bruyamment.

Dans un de ces bars-là, dans un de mes bars, donc - non parce qu'ils sont miens, mais parce que j'en suis, sans l'ombre d'un doute -, qui mettent en présence des pelletées murmurantes de blessures plus ou moins bien planquées (celles vécues, ressenties, ou bien celles qui arriveront, programmées, fatalement), hausser la voix vraiment, sans raison ni conscience, juste parce que ça paraît normal de le faire à ce moment précis, ne vous attirera jamais vraie complaisance ("c'est qui, ce con ?"), ni réel mépris ("il fait ce qu'il veut, laisse-le tranquille.") Pas vraiment de sympathie non plus, notez, mais une bienveillante indifférence, l'espoir secrètement proféré, oublié aussitôt (parce qu'au fond, tout le monde le sait, nul n'est si important qu'il faille s'imposer de le dévisager de haut en bas, d'en faire un personnage en relief sous nos caboches), que vous ne monterez plus d'un ton, puis disparaîtrez, seul ou accompagné, bien ou mal, tranquillement ou - dans le meilleur des cas - joliment fracassé, d'une biture ou d'une mandale.

Ici, bonhomme, les galères cherchent rade, mise en rade, repos des coques imbibées comme des chandails à la lessiveuse, et relâche des planches de bois foulées comme par vocation. On ne gueule pas, ici, sauf à l'occasion, ni ne tente d'accrocher le haut de l'affiche, puisqu'en réalité c'est un élément de décoration, ni ne s'amuse à tenter d'écraser les autres pour tenter d'oublier la faiblesse de sa propre épaisseur. On se pose, au contraire, tranquille, sans en vouloir à personne sauf si l'occasion de mâter des noises se présente, haineux du reste du monde jusqu'à s'assoupir à la proximité calme de corps environnants.

Tenter de se distinguer, ici, c'est courir à sa perte. Le mot d'ordre est à la disparition sous-entendue, aux clins d’œils appuyés au moment précis où nous parvenons tous ensemble, d'un même geste, à n'être plus grand chose sans emmerder personne, chacun dans sa bulle, tout en échangeant à l'occasion.

Comme un peu n'importe où, d'ailleurs. Tenez vous le pour dit.

samedi 29 juin 2013

Présentation express - Acte 3

"Plateau" (eh ouais) - 
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D'accord, d'accord. Dans la mesure où il m'est un peu compliqué ici de parler de mes activités annexes (j'aime faire le mystérieux, qui peut-il bien être ?), je vais accepter pour une fois que vous qualifiez le mois-de-juin-sur-ce-blog de "Mois de la glande." Je m'en veux, je dois bien le reconnaître - surtout pour vous, pardon, qui avez été contraint de rafraîchir toutes les minutes cette page tout en observant d'un œil terni sinon humide ce qui se passait dans le reste du monde, de liker des statuts ou de parcourir en étouffant un bâillement le site de votre journal en ligne préféré. Cela dit, maintenant que vous êtes bien à jour concernant l'actualité mondiale du moment, autant que l'actualité foisonnante de vos amis, connaissances et vagues camarades de 4ème B (qui ont eu des enfants, dis donc), il est un peu temps d'en revenir aux choses vraiment sérieuses. J'ai dit.

En l'occurrence, il fallait bien qu'il finisse par débouler dans ce joli trou-à-pisse numérique, cet Acte 3. Ben oui, nous n'avons toujours pas de quatrième de couverture digne de ce nom (remember... remember aussi... oui je sais, il n'y a pas des tripotées de posts par ici, ça ne sert à rien de créer ces liens, sauf à se faire imaginer à tort qu'on dispose d'ores et déjà d'une "Oeuvre" (bloguistique), ce qui confine au pathétique.) Du coup, à part venir ici pour vous faire copieusement insulter, prendre pour des gogos et faire saigner vos yeux déjà éreintés à la lecture de phrases absconses et beaucoup trop longues, vous commencez fort logiquement à vous dire que bon, c'est joli tout ça, mais on ne sait toujours pas de quoi ça va causer, son truc (enfin si, vous avez déjà quelques petites idées à ce sujet, des bars, de l'alcool, un type qui larmoie ou sublime - on ne sait pas trop -, mais bon, c'est léger aussi, comme plan de route pour savoir sur quoi on va finir par débouler : "un énième livre sur les bars ? Sérieux ? Mais qu'est-ce que je vais perdre mon temps ici, moi." Vous vous dites - je le sais, t'inquiète.)

Allez, je vous mets de la musique pour la peine, ça va vous aider à supporter l'ennui de ce nouveau message. Et puis c'est gai, vous allez voir. 

Oh oh, tiens. En plus, ça donne plein d'indices sur qui je suis (parce qu'en réalité, évidemment, tout le monde s'en cogne, de savoir ça, mais vous savez comme c'est, aujourd'hui, il faut savoir susciter la curiosité, comme ça, avec rien, se mettre un casque intégral sur la tête pour déclencher les cancans ou n'apparaître que sous forme d'avatar manga pour tenter d'oublier que, dans la vraie vie, on a parfois une tronche de déterré, et même des boutons.) Tiens tiens, donc. Un type qui aime les bottes, très bien. Sans doute un métalleux, ou un cowboy. Voire un motard, tiens, ce qui revient un peu au même. C'est chouette, en tout cas, on a bien avancé.

Ou bien, ou bien... tiens... la tonalité, le côté un peu plaintif, un peu dépressif du truc, tiens, et si... et oui... Là, on voit mieux quelque chose. Le genre de gars auquel il doit arriver de temps en temps de rentrer chez lui, bien torché (v'là l'exemple pour la jeunesse), et de se mettre à couiner devant son ordinateur, casque aux oreilles ou en pleine lumière, les yeux gonflés d'un truc qui contient environ 2 doses d'eau salée pour une dose de bière, et qui tente de fredonner (ce qu'il ne fait déjà pas très bien en temps normal) un air qui lui racle les tripes au râteau, tout en formalisant peu à peu le morceau suivant qu'il va s'imposer ensuite pour parachever cette méthode toute personnelle de digestion ponctuelle du grand-Monde (qui fait peur.)

Ou alors un motard, hein, c'est comme vous voulez. Vroum-vroum ou Ouin-ouin, deux façons d'imaginer votre héros. Faites à votre convenance.

Quoi qu'il en soit, trêve de larmoyantes digressions, on y va, c'est parti.

Présentation express, troisième prise :

Doit-on s'acharner à résister, se tenir droit, combattre l'altérité,
ou plus simplement opter pour la plus parfaite des transparences,
celle du loufiat-tapisserie, du barman-automate ?
Disparaître en apparence sous une servilité éveillée, assumée, sublimée en un sens ?
[TITRE] propose un parcours undercover sur les traces d'un partisan de cette seconde voie,
persuadé, parce qu'il faut bien trouver matière à conserver sourire face à son miroir,
que la moins chevaleresque des attitudes
peut aussi contenir les germes d'une rédemption par l'humilité,
que la plus grande transparence
permet d'accomplir, à l'Ombre, des exploits inédits.

Bien, bien, bien. Alors... Déjà, c'est un peu long, convenons-en. Ensuite, et surtout, ça fait un peu Guide-de-Survie-dans-un-monde-hostile, à des lieues de l'intention première. Je vois d'ici les questions débiles qui pourraient découler de la lecture de ce quatrième de couverture : "Prônez-vous la passivité et la discrétion en lieu et place de la résistance ?" (oui, bien sûr, et passer un coup de fil à la Kommandatur pour récupérer le grand appart du troisième, c'est ça, oui, vous avez bien saisi ma démarche) - "Servilité pour qualifier les métiers de la restauration, n'y allez-vous pas un peu fort ?" (absolument, mais vous savez, moi, je ne fais pas partie de la grande corporation immaculée du journalisme, aussi.) - "Conserver sourire, ça n'est pas français comme expression, si ?" (effectivement, ce ne serait sans doute pas conservé en l'état dans la plaquette de présentation d'une entreprise de réparation de téléviseurs, c'est vrai) - "Rédemption par l'humilité, ne s'agit-il pas l'un d'un pléonasme ?" (si, bien sûr, mais est-ce que je t'en pose, moi, des questions ?) En bref, un beau traquenard à interrogations niaises, auxquelles je prêterais naïvement le flanc en feignant d'ignorer que bien souvent, comme s'ils n'avaient pas lu le livre en entier, les commentateurs se fondent sur la quatrième de couverts pour fournir à leur entretien une belle colonne vertébrale.

Une question plus intéressante concernant ledit Machin, au demeurant, pourrait être la suivante : "Les Super-héros du quotidien naissent-ils dans l'Ombre ?" Belle piste de réflexion, en vérité, tant la réponse est évidente ("Oui" - réponse lapidaire, complète et suffisante, qui, certes, n'aide pas vraiment à briller en société, justement), mais laisse planer un doute quand à la dichotomie quasi-manichéenne communément admise [Ombre/Lumière], susceptible de foutre tout le monde, autour de la table, un peu mal à l'aise. Puisque l'interrogé, par respect pour ce beau précepte d'allégeance à la discrétion, a publié un machin et répond à des interviews, tandis que l'interrogateur, tout à fait d'accord sur ce point avec l'interrogé, rêve probablement qu'un jour, enfin, on le reconnaisse dans les dîners mondains.

Manque de pot, avec une quat' de couv' comme celle-ci, aucun risque d'engendrer, dans l'esprit de la feignasse ayant considéré qu'il suffisait de grignoter ça pour savoir de quoi tout le Machin causait, une question aussi intéressante/problématique. Parce qu'il n'y est pas directement fait référence aux Super-Héros, qui servent pourtant, tout au long du texte, à illustrer la réflexion, un peu à la manière, je ne sais pas, moi, qu'un petit-chiot-trop-mignon (c'est-à-dire seulement l'un des membres très particulier du règne animal, choisi ainsi de manière tout à fait malhonnête pour servir le propos) aurait de faire office d'étendard aux contempteurs de la souffrance des bestioles.

Donc, non, encore un fois, cette présentation express ne convient pas. Nous avons encore pas mal perdu notre temps ici, pas vrai ? Désolé.

jeudi 20 juin 2013

Un Bohémien dans la Ville, par Renaud Burel

"Tabouret de bar" (disons) - 
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Dans Château Rouge Hôtel, un texte posthume, publié chez Allia trois ans après son définitif Merci-Au-revoir, Renaud Burel nous offre un beau portrait flouté d'une interaction comme on n'en trouve pas partout. Le texte, tout entier, est à s'enivrer de plaisir brut.

"Il y avait du soleil. Aucune envie de me retrouver dans ma piaule confronté une fois de plus au néant. Je suis entré au Tambour où j'avais été tricard dans le temps la gueule enfarinée mais, comme par enchantement, le barman est venu illico prendre ma commande l'air sympa.
- Un double-espress et un cognac, Ta Majesté.
- Ca marche.
- Euh non, scuse-moi, un espress et un double-cognac.
- Okay ça roule.

C'était vraiment un des plus beaux bistrots de Paname. Bien situé au cœur de Ménilmontant, vaste, carré, stylé comme pas permis avec son antique zinc immense, ses boiseries sans âge, ses fresques 1900 délavées sur les hauts plafonds et ses énormes systèmes de poulie en fonte dont personne ne savait plus l'usage. Le plus branchouille aussi, selon les médisances des puristes qui préféraient ne pas se distraire des derniers looks à la mode de cette clientèle de pseudo-artistes, d'ivrognes cultivés, de pédés et de minettes inaccessibles. Je le fréquentais déjà avant son rachat et sa métamorphose, quand ça n'était qu'un étrange espace vieillot, sombre et souvent désert, tenu par trois vieux Auvergnats qui ne faisaient jamais un bruit. Il avait déjà son aura.

Il n'y avait quasiment personne ce matin-là et pour ne pas me laisser gagner par l'ambiance morose, je voulais siffler mon verre et partir voir ailleurs.

Et puis un homme est entré et il a pris place au comptoir juste à côté de moi. Il m'a fait une impression pas croyable. Ca sautait aux yeux qu'il était rom et il avait l'air d'un Dieu de l'Olympe descendu boire un coup en ville. Je l'ai admiré un instant. Enfant, les Bohémiennes et les Bohémiens appartenaient au pays des rêves pour moi. Peut-être bien que le pays des rêves leur appartenait. Les Fils du Vent.

Une légende racontait qu'ils tenaient ce nom d'une jument qu'aucun étalon n'avait jamais possédée mais qui paissait chaque jour sur une colline exposée au grand vent. A vrai dire, cette légende, je ne savais plus si je l'avais lue quelque part ou si je me l'étais inventée. Sûr en tout cas que le vent lui-même poussait à sa fantaisie leur chemin par-delà les frontières et le temps aventureux.

Sur le bar à côté de moi la montre au bras de l'homme me fixait comme un oeil. J'ai remarqué qu'il se tenait sur le tabouret du bar la jambe droite en position du lotus et la plante du pied radicalement retournée vers le ciel. C'est alors que, comme dans un rêve, il m'a regardé droit dans les yeux, au moins deux longues secondes, puis sa montre, puis de nouveau moi, comme s'il avait quelque chose de grave à me dire.

- Il est tard, il a dit, puis il est sorti du bar et a disparu sans avoir rien bu dans la foule des ruelles.

A peine le temps de rien comprendre à rien, et une vague d'idées irrationnelles m'a traversé l'esprit. Mes pensées se sont mises à tournoyer. Le messager de l'Olympe m'avait jeté un sort."

dimanche 26 mai 2013

Rébou-Sans-Famille

"Vieille femme" (allez comprendre) - 
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Note pour le lecteur : les trois premiers paragraphes de la présente note confinent vraiment au foutage de gueule, n'apportent aucune information présentant un quelconque caractère d'utilité et poussent assez loin la double propension de l'Auteur (TM) à noyer le poisson tout en produisant des phrases aux dimensions quasiment insupportables (ça sent le complexe tout ça, je vous le dis), tout ceci sans but aucun. Vous aurez donc beau jeu de les passer allègrement, personne ne vous en voudra. Vraiment.
Quant aux paragraphes suivants, je ne garantis d'ailleurs rien non plus. 

Bien sûr, bien sûr, il est désormais devenu plus qu'urgent pour moi de mener à terme - enfin ! - cette fascinante réflexion sur les bars branchés (ce qu'ils sont, ce qu'on pense qu'ils sont, ce qu'ils font semblant d'être, en quoi ils se subdivisent eux aussi en sous-groupes et multitudes de chapelles identitaires à défaut d'être vraiment signifiantes de quoi que ce soit - ah oui, parce qu'il faut arrêter, aussi : l'identité, quelle qu'elle soit, ne fait pas non plus le sens - tiens tiens, belle piste que nous n'aborderons pas une fois de plus, ou alors de loin et dans trois semaines, au détour d'une digression) entamée il y a maintenant quelques jolies semaines désormais constituées comme de subtiles revendicatrices en un mois tout rond - l'Union fait la force. Et pourtant. 

Et pourtant, désolé, mais mon ébouriffante existence - suffisamment ébouriffante en tout cas pour que j'y consacre un blog-en-2013 - venant d'amorcer un nouveau coude, ma guimbarde métaphorique s'étant récemment engagée pleins phares sur une nouvelle vieille chaussée toute défoncée - ouais, bon, j'ai déménagé quoi -, la découverte en-cours d'un nouveau-quartier suscite en moi tout un paquet bien emberlificoté de considérations boiteuses, ébauches d'idées et autres embryons ou tumeurs réflexifs dont je ne peux me dispenser de vous livrer la portion thématique la plus directement liée à notre sujet d'ici, à notre soif présente et à notre terrain de jeu circonstancié : la recherche d'un nouveau repaire/repère, d'une inédite antre du genre dotée d'un zinc et garnie d'une pompe à bières - j'ai nommé, "Mon-Troquet".

Et si, c'est vrai, à l'occasion, cette note opportuniste (dans le sens où elle tombe pile-poil en fait et n'a pas nécessité un effort exagéré de conceptualisation dans la mesure où elle coule de source donc), occasionne la possibilité de peaufiner un titre humoristique aussi puissant que "Rébou-Sans-Famille" (TM) (qui fera bientôt florès sur Twitter j'en suis certain, les gens sont ainsi faits qu'ils ne respectent en rien la propriété intellectuelle surtout sur Internet allez comprendre aussi mais les serveurs sont au Groenland et mon avocat chez les nudistes c'est logique aussi) (d'ailleurs c't'amusant la structure dudit titre humoristique présente une relative parenté avec celle du titre de l'Oeuvre-à-venir, indice supplémentaire et sans doute indispensable aux limiers les moins perspicaces qui tenteront d'ici quelque mois de faire le lien entre le ce blog-en-2013 plutôt improbable en terme de Grand-Style et l'ouvrage imprimé que leur tantine leur aura peut-être offert pour leur faire les pieds), on ne va pas se plaindre non plus. Car il est bon parfois de pouvoir joindre l'humour à l'agréable, voire l'humour au plutôt déplaisant, voire au demeurant le pas-très-drôle au plutôt-pathétique : la licence poétique ne supporte aucune limite, et c'est tant mieux ainsi.

Pour ceux qui, bien avisés, ont préféré se rendre directement ici, se dispensant de l'expérience pénible de la lecture des trois premiers paragraphes, sachez donc simplement qu'il va s'agir ici non pas de poursuivre la réflexion sur les bars branchés (oui, c'était une réflexion), mais de tenter de saisir comment-on-cherche-un-nouveau-rade-de-prédilection (oui, parce que j'ai déménagé, mais bon, si vous vous posez plein de questions de ce genre, vous auriez peut-être mieux fait d'attaquer le texte par le commencement, non ? (1) Là, je crois qu'on fatigue un peu les quelques courageux qui s'y étaient bravement collés, et qui doivent être en train de souffrir en s'entendant raconter deux fois une histoire qui n'était déjà pas bien fascinante au départ).

Car enfin, en cas d'installation à proximité de nouveaux macadams, le "Rade-de-Prédilection" (2) se doit d'être choisi avec entrain, certes - parce qu'on ne va pas non plus attendre de se dessécher sur pied -, mais également toute l'attention et la sévérité du monde. De fait, le sélectionner à la Va-Vite - à moins d'apprécier n'avoir jamais tort au point de savoir faire preuve également d'une débordante mauvaise foi y compris à son propre égard, j'en connais -, c'est bien entendu risquer une rapide autant qu'amère déception, tant les attentes sont légitimement grandes. Or, qu'on se le dise, personne n'apprécie de se retrouver dans la situation penaude du couillon contraint, après avoir officiellement abonné son arrière-train aux banquettes, chaises ou tabourets de tel lieu - un acte fort, une prise de position violente, extrême, qui revient peu ou prou à adresser un doigt d'honneur géant à toute la concurrence, surtout si sucer des glaçons ne constitue pas notre activité préférée en ces eaux troubles -, de rassembler discrètement tout son barda pour émigrer sur la pointe des pieds ailleurs, parce qu'en fait non, on s'était trompé.

Ah oui, aussi, parce que, Règle d'Or numéro 372 : en rade, on ne se trompe jamais. On dit des conneries, certes, on "exagère un peu Mimile", ok,  voire on "pousse le bouchon un peu loin" mais non, jamais, jamais on ne se trompe. Admettre une patente erreur de jugement, en public, accoudé au zinc, ouvre en effet la porte à toute une série de non-moins légitimes questions, parmi lesquelles "pourquoi passer tout son temps ici ?" ou "qu'est-ce qui me prend de téter de la bibine à 15 heures ?", qui déferleront sans coup férir sur le crâne du coupable, jusqu'à le pousser parfois, ultime extrémité, à commettre l'irréparable. Soit : décider finalement de faire autre chose que picoler pépère, cerné d'inconnus dont on n'ignore quasiment plus rien, à 15 heures en semaine. En somme : basculer dans le camp ennemi, devenir un renégat, un traître, un moins-que-rien. Le désormais-Juge des occupations de ses Autrefois-compères. Beurk.

Sincèrement, je ne souhaite pas à mon pire ennemi ladite expérience, celle de longer morveux la rangée des habitués postés en un autre-lieu, plus sévères à votre égard qu'à celui du brave client de passage, auquel ils ne peuvent opposer que l'indifférence éventuellement condescendante du local quand votre cas à vous s'avère largement plus condamnable, nettement plus épineux. Vous venez en effet de replier-votre-doigt - péché mortel qui, dans l'univers de la Limonade, se classe juste un peu au-dessus, sur l'échelle du lèse-Pirate et donc en termes de mépris légitime, de l'aveu-d'avoir-commis-une-erreur décrit plus haut. Dès lors, votre statut de paria vous collera à la peau le temps qu'il vous faudra pour en faire pénitence - proportionnel de manière relativement arithmétique au temps passé à exhiber vos routines à la terrasse, en salle ou au zinc ennemis, ainsi qu'à la proximité géographique de ces derniers et au degré de votre fidélité à tel ou tel type d'établissements. 

Pour vous donner un chiffre à la louche, comptez environ une semaine de haine silencieuse par année passée ailleurs, avec un multiplicateur géographique de 8 si les deux établissements se font face ou relèvent du même patelin, 4 s'ils appartiennent au même quartier ou à la même petite bourgade, 2 s'ils appartiennent au même arrondissement ou à la même ville de taille moyenne - durée qu'il vous faudra encore doubler si les types de bar incriminés sont identiques, et même tripler si ces derniers sont au contraire inconciliables (lounge-bar/pub, troquet-du-coin/bar branchouille, etc.). L'ensemble de ces éléments ne tenant pas compte, bien entendu, de l'hypothèse "changement du patron de votre antre" qui tend plutôt à transformer, par la magie de la Solidarité-Soûlographique (TM), l'ensemble des opérations de multiplication en opérations de divisions.

Trois exemples, pour les matheux refoulés :

1. Vous avez traîné sept ans en un troquet  à bières avant de réaliser qu'il était nul en fait (vous êtes donc un peu lent à la détente, mais je ne juge pas), et décidez de migrer, inconscient, en son jumeau maléfique sis exactement de l'autre côté de la rue (parce que vous êtes une feignasse, en plus, mais je ne juge toujours pas, notez.)
Bravo, vous venez d'en prendre pour 7 x 8 x 2 =  112 semaines d'opprobre bien mérité. Dans un peu plus de deux ans, rassurez-vous, vous bénéficierez peut-être de votre première tournée du patron.

2. Après deux ans de bons et loyaux offices, une profonde crise existentielle vous pousse à décider un beau soir de cesser de hanter tous les soirs ce petit club lounge à mojitos (tout à fait pratique pour vous dégoter de jolies chargées de communication en quête de mari argenté, mais ça y est, vous avez une intuition : il vous faut de la tatouée désormais, de la cogneuse un peu aussi pourquoi pas, c'est un fait), pour lui préférer le pub irlandais du même quartier (quoique de l'autre côté de la rue Machin quand même, on ne sait jamais, qu'iriez-vous raconter, si vous les croisiez, à vos meilleurs amis toujours bien branchés par les lunettes à grosses montures ?)
Allez, ne pleurez pas, d'ici environ 2 x 4 x 3 =  24 semaines, vous serez connu et apprécié ici aussi comme le relou blanc.

3. Catastrophe, le patron de votre rade-qui-sent-parfois-un-peu-la-pisse-c'est-vrai (mais au bout de seize ans on-ne-s'en-rend-presque-plus-compte) vient de passer l'arme à gauche (paix à son âme), et son crétin de fils vient de rouvrir l'établissement  désormais enrichi d'écrans géants connectés en direct aux clips de MTV et redécoré ambiance Eden Park. Votre sang ne fait qu'un tour, et vous vous demandez si, au fond, l'odeur fort tenace caractérisant  également le bistrot d'en face  n'est pas susceptible d'alimenter efficacement votre soif de mélancolie.
Accueilli à bras ouverts, à la manière d'un boat-people (euh... qu'on accueillerait à bras ouverts disons, dans une autre dimension), ou en tout cas d'un rescapé quelconque susceptible de susciter l'empathie de tout un peuple (par exemple parce qu'il partage avec ce dernier une nationalité, une culture ou la couleur de peau majoritaire - ouais, bon, ok, pas un boat-people, donc), vous  ne tarderez pas (en fait, en 16 / 8 / 2 = 1 semaine très précisément) à intégrer foie-et-âme votre nouvelle famille d'élection.

Récapitulons : désormais, en plus d'une première "réflexion" introduite sur les bars branchés - première parenthèse toujours béante -, nous voilà aux prises avec une nouvelle thématique à traiter, à savoir : "Comment choisir son Mon-Troquet-pour-la-Vie". Deux chantiers dont personne (surtout pas moi, promis) ne sait s'ils vont déboucher sur une quelconque réalisation, vous savez comment c'est - avec les délais de commande et les retards pris parce que le sol, en fait, est perméable et qu'il faut couler une dalle de soutien non prévue au programme, tout ça, on n'est pas rendus. En tout cas, nous voila déjà bien avancés.

(1) C'est ça, hein, vous êtes donc du genre à ne pas aimer perdre votre temps mais à apprécier aussi d'être parfaitement bien informé sur tous les sujets du monde - vous êtes bien représentatif de votre époque, tiens.

(2) Aussi appelé parfois un peu stupidement "QG" par les trentenaires bien passés persuadés d'être encore jeunes, ou "Mon-spot" par ceux trop minots pour savoir que ledit terme qualifiait aussi, vers les années 80-90, les marques les moins gourmandes de l'acné juvénile.

mercredi 22 mai 2013

Le Troquet Général, par Sébastien Lapaque


Baby Foot - Avant-dernière entrée -
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Dans son "contre-journal" titré Autrement et encore, paru le mois dernier chez Actes Sud, l'érudit harangueur Sébastien Lapaque regrette des tas de trucs - notamment le service de la Limonade au temps du Général.

"Destruction des cultures populaires, dites-vous ? Qu'on songe à toutes ces fermetures de cafés en France, remplacés par des banques, des marchands de téléphones portables, des bars branchés ou des chaînes aseptisées façon Starbucks. Dans la France de Charles de Gaulle, vieux pays frémissant de gouaille et d'apéro, il y avait 200 000 cafés ; dans la France d'après, il en reste 30 000 à 35 000. Aux naïfs tentés de s'en féliciter au nom de la lutte contre l'ivrognerie et le tabagisme, on rappellera que la fermeture du troquet du coin, celui que l'on fréquentait jadis à la sortie du lycée, n'empêche ni l'alcoolisme ni la consommation de tabac chez les jeunes. Ce qui se perd, avec les troquets, c'est cet "autrefois du monde humanisé" dont parle joliment Baudouin de Bodinat* : les conversations impromptues, les rencontres imprévues, les controverses interminables. Il n'y avait pas que les vapeurs d'alcool et la fumée des cigarettes dans les cafés de notre jeunesse perdue. Il y avait des romans et des journaux posés sur la table ; le flipper et le baby-foot ; ces filles auxquelles on n'osait pas adresser la parole, ces habitués dont on ne connaissait ni le nom ni les occupations. Et tous ces gens qu'on n'aurait jamais rencontrés ailleurs. Et ces jeux permanents avec les mots du boire, ces inventions langagières à la générosité infinie. Le café, on l'appelait le bistrot, le rade, le troquet, la crèmerie... Au patron, on demandait de remettre une rafale, de rhabiller les orphelins, de remonter l'ascenseur, de recharger les accus... Et à l'heure de la fermeture, on buvait le coup de l'étrier, que le maréchal de Bassompierre, sous le règne de Louis XIII, recommandait de boire dans sa botte." 

* Cf. La Vie sur Terre. Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes, tome I, de Baudouin de Bodinat, éditions de l'Encyclopédie des nuisances, 1996.

dimanche 12 mai 2013

Présentation Express - Acte 2

Percolateur - Avant-dernière entrée -
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Allez, après une première tentative loupée, loupée parce que beaucoup trop classique*, nous voilà à nouveau rendus au pied du mur, contraints par nul autre que nous-mêmes - ce qui est déjà quelque chose de déterminant quand on y pense - de remettre l'ouvrage sur le métier (ah ah, Pénélope écrivant sur son boulot, ah ah), tentant ainsi pour la seconde fois - qui ne sera finalement que la deuxième à coup sûr - de résumer le Livre-à-paraître (TM) sous la forme d'un quatrième de couv' à peu près respectable.

Pour une fois, sans multiplier les digressions (les notes de bas de page sont aussi là pour ça, après tout), sans filet, on se lance, hop-hop-hop, c'est parti. 

Présentation express, deuxième prise :

[TITRE] se conçoit comme une sorte de guide typologique,
classé par rubriques et thématiques,
de ce qui distingue, en 2013 et depuis des lustres,
un bon rade d'un mauvais,
une noble cuite d'une sinistre dégustation,
le fâcheux usager de zinc et le mythologique compère de comptoir -,
le tout enrichi d'une étude de la transparence sublimée,
ainsi que de la fatalité contemporaine du Devenir-larbin,
à laquelle [L'AUTEUR] estime préférable de se résoudre 
en bars plutôt qu'en open-space,
par simple refus de se résigner l'aveuglement, 
et donc de perdre son temps à se leurrer soi-même.

Mouais. C'est joli, dit comme ça, mais prête aussi le flanc à tout un tas de critiques légitimes, au moins sur deux terrains pourtant contradictoire :

- la première partie (du début à "compère de comptoir") laisse quand même supposer qu'on va se retrouver avec dans les mains une sorte de bouquin LOL, de bric-à-brac comique plus ou moins drôle, à une sorte de bédé Vie de Merde énième tome exécutée on l'espère avec autre chose que les pieds, mais qui fera très bien dans les waters. Notez, je n'ai pas de mépris particulier pour la littérature de gogues : indépendamment du fait qu'il en existe une excellente, je n'ai pas pour habitude de me soulager les flancs en fixant comme un dératé le carrelage blanc qui me fait face (à la rigueur, je pourrais m'y résoudre dans une cabine taguée - m'y résoudre parce qu'au moins j'aurais quelque chose pour m'occuper les yeux tandis que je feindrais, non, de ne pas être en train de répondre à besoin naturel ternissant quelque peu le statut de super-héros extra-humain que j'aime à exhiber, même discrètement, au monde à longueur de temps -, - taguée parce qu'hébergeant à longueur de journées comme de nuits (mais pour un temps seulement, hein) tout un tas d'inconnus plus ou moins sobres et donc plus ou moins adroits de leurs bassins et... - ah oui, en fait, je viens de me souvenir pourquoi je pourrais à la rigueur m'y résoudre sauf qu'en fait non, faire ça là, c'est quand même un peu niet.) Il en existe une excellente, donc, et, mieux encore, sa fonction, du coup, son droit d'être au monde tombe sous le sens, peut-être même plus allez savoir que la littérature de non-chiottes. Tiens tiens, un nouveau débat intéressant en perspective.

- la deuxième partie (de "le tout enrichi" à la fin, forcément) réalise le double exploit de faire passer [L'AUTEUR], donc, à la fois pour un rebelle de pacotille ("Bouh, la vie en entreprise, trop ringard" - "Moi, je me mens pas à moi-même, mec - je suis lucide sur le monde qui m'entoure") et pour un bon gros péteux des familles (qui "enrichit" les choses, avec des "études", ne se "résigne" pas plus qu'il ne se "leurre" (il est malin, plus malin que les autres, c'est pour ça.)) Disons, pour un croisement contre nature (?) entre un intello casse-couilles et un ado de quinze ans, tous les deux furieusement imbus d'eux-mêmes. Sur le papier, ça donne envie - rien à dire.

Allez, laissons tomber pour aujourd'hui. Je ne sais pas si vous voyez un peu mieux de quoi ça va causer (ça, oui, je pense que vous avez quand même dû finir par capter l'idée (ne vous braquez pas à cette démonstration de condescendance, rappelez-vous plutôt, comme noté plus haut, que ma quatrième de couverture de ce jour m'autorise à me comporter comme le couillon qui se croit plus futé que le reste du monde, et excusez-moi dans la foulée), ni comment ça va en causer (là, je suis nettement plus sceptique, et ce n'est pas de votre faute, j'insiste), mais gageons en devins qu'entre aujourd'hui et janvier prochain, il devrait se présenter quelques jours et quelques nuits que je pourrai mettre à profit pour, à nouveau, tout détricoter dans l'espoir, enfin, de produire un Truc Potable au sujet de mon Bidule.

Notes de bas de page et astérisques :

*classique parce qu'elle se bornait à livrer une sorte de résumé très intemporel** 

**intemporel parce que volontairement flou***

***flou parce qu'issu d'une sorte de non-choix consistant à adopter une tactique "attrape-tout"****

****"attrape-tout" dans la mesure où il semblait s'agir surtout de susciter un maximum de curiosité tout en ne risquant pas de se mettre à dos telle ou telle partie de la population (sait-on jamais)*****

*****Effectivement, on ne peut que constater un peu consterné cette tradition très contemporaine consistant à vouloir plaire en rabotant au maximum, séduire en mobilisant un maximum d'efforts dans le seul but de ne ressembler à rien le mieux possible. Simplement par peur de s'attirer des foudres voire, pire encore - ultime malédiction -, une consistante indifférente, au point que les attentes d'un créateur quelconque aujourd'hui (d'art, de littérature ou de bidets en émail) semblent désormais s'ordonner ainsi : 
1. Au mieux, obtenir l'unanimité pour un objet blanc et lisse (un œuf, par exemple, ou un bidet effectivement). "Excellent, ton truc. Je m'y suis totalement retrouvé dedans. Et ma mère aussi. Et mon neveu de six ans aussi. Et ce mec là-bas, le type qui achète des poireaux au rayon légumes, là, je parierais qu'il s'y est lui aussi totalement retrouvé dedans."
2. Moins enviable, mais tout de même pas mal, accéder à une adhésion plus ou moins large en "perdant" ceux qui n'aiment pas le blanc, le lisse, ainsi que les daltoniens toujours prompts à déceler quelques ombres jaunâtres dans un blanc pur, et les maniaques persuadés de s'être écorché la main à une rugosité en la faisant glisser contre l'impeccable paroi. "Pas mal, ton machin, pas mal du tout. Juste une remarque : quand tu fais un parallèle entre tes différentes humeurs et les sept couleurs de l'arc-en-ciel, là, on est bien d'accord, tu produis une classification entre les hommes selon la couleur de leur peau, non ? C'est un peu choquant, hein. Non, ce n'est pas ça ? Ah. Un plaidoyer pro-mariage pour tous, alors, peut-être ? Une attaque en règle de l'écologie politique ? Non ? Allez, donne-moi quelque chose, bon sang."
3. Encore appréciable, dans un registre particulier, être jugé "provocant" par un petit cénacle underground et plastique, parce qu'on a effectivement injecté quelques termes licencieux, idées communément admises comme subversives au cœur de sa bouillie. "Eh, bro, dans mes bras. Je n'ai pas eu le temps d'analyser ton bidule dans son intégralité, évidemment, mais chapeau, quoi : utiliser l'expression "couille vérolée" trois fois en dix lignes, c'est courageux. Comme ton chapitre sur l'extermination des bébés, là. Trop chaud, j'adore."
4. Plutôt catastrophique, mais on s'en fera une raison en misant éventuellement sur la posture maudite, être jugé à tort "provocant" simplement parce que notre propos n'a pas été bien compris, s'attirer les sympathies des rebelles et partisans de la précédente catégorie uniquement sur un malentendu. "Super de ta part, mec, d'avoir consacré un chapitre entier aux calculs rénaux, à l'ordure qui sillonne nos corps de cadavres en puissance, d'avoir ainsi fait référence à la merde, d'être passé par la scatologie, l'urologie, la, euh... rénalologie pour faire un doigt au système hygiéniste dans lequel nous nous formolisons à vue d’œil. Applause, man." - "C'est bien gentil de votre part, jeune homme, mais le chapitre auquel vous faites référence traitait en réalité, au sens premier, du calcul différentiel et des progrès récents de la science mathématique."
5. L'Horreur. Passer inaperçu, constater l'indifférence complète que suscite mon bel objet pourtant fait-avec-mes-propres-mains (mieux encore que Made-in-France Made-in-moi, t'sais.) "Bonjour. Et vous, vous faites quoi dans la vie ? Ah, oui. Mais sinon ? Le loyer, là, vous le payez comment, sérieusement ?"

vendredi 10 mai 2013

Un Zinc à Canaille, par Benoît Duteurtre

Clope - Avant-dernière entrée -
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Râleur professionnel, Benoît Duteurtre, dans ses Polémiques (Fayard), sait aussi causer bistrots quand il conspue les poussettes. Parce qu'autrefois, les premiers se portaient fort bien sans les secondes, les vaches étant ainsi mieux gardées.


"Une victoire dont se réjouissent les partisans de l'interdiction du tabac dans les lieux publics est l'augmentation de la "clientèle familiale", désormais triomphante dans les cafés et les restaurants. De fait, on voit désormais ces établissements se transformer en jardins d'enfants où d'énormes poussettes occupent l'espace entre les tables, et où les bambins éberlués donnent de bruyantes aubades. Auprès d'eux, les "mamans" et les "papas" se livrent à de permanents allers-retours entre la table de bistrot, où ils amorcent des bribes de conversations, et l'engin à roues vers lequel ils se penchent pour distraire leur bébé, répondre à ses revendications, lui tendre des biberons, des jouets, des tétines qui parviennent rarement à le calmer.

Autant l'avouer : je préférais l'odeur du tabac à ce fumet de fesses enfantines. Les adolescents d'autrefois trouvaient dans les bistrots un parfum de liberté. Le comptoir en zinc avait un côté canaille qui tranchait avec le ronronnement de la vie de famille. On y découvrait un environnement d'adultes parlant de tout et de rien en picolant. Le flipper et le juke-box apportaient un petit air américain agréablement mêlé aux habitudes franchouillardes, comme le présentoir d’œufs durs, le ballon de côtes-du-Rhône, le croissant et le "grand crème". Le café représentait la ville, la liberté, la rencontre imprévue. Nul adulte n'aurait osé imposer dans ce décor la présence de familles, de bébés ni de poussettes.

Aujourd'hui, presque partout, le bistrot s'est transformé en lounge où l'on vous conduit directement à votre place, un peu trop isolée. La plupart des comptoirs ont disparu. Mais, dans le même temps, l'invasion des parents et des enfants a transformé ces lieux canailles en doucereuses annexes de Disneyland, qui redessinent les villes à la gloire de la reproduction. Voilà pourquoi j'ai cessé de fréquenter les cafés afin d'échapper aux familles (...)"

mercredi 1 mai 2013

Rade Panique, par Roland Topor

Zinc - Avant-dernière entrée -
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Café Panique : magie des surnoms, impressions instantanées, par celui qui rappelait parfois : "Inutile de regarder en l'air, il n'existe aucun bar correct dans cette direction", et pouvait considérer un bon rade simplement comme la pièce manquante de nos tristes appartements (Editions Wombat, 2012).

"La première fois que j'étais entré au Café Panique, en compagnie de Cul-Sec qui tenait à me présenter Verre-en-Main avec lequel, selon lui, j'étais fait pour m'entendre, j'avais trouvé l'endroit formidable. Tous les vins qu'on avait pris ce jour-là étaient bons, Deux-Minutes, la fille qui servait au comptoir, souriante, et la porte si proche qu'on avait l'impression d'être sur le trottoir de la rue de Rivoli. Ce sont des détails qui comptent, pour un bistrot. Et puis, c'est important, la lumière était belle. En partie grâce à la patine des murs et du plafond, mais aussi, peut-être, parce que les globes de verre dépoli n'étaient pas propres, il régnait une atmosphère dorée qui embellissait tout le monde. En revanche, le téléphone était au sous-sol à côté de toilettes immondes, mais, à Paris, il ne faut pas demander l'impossible.
Je m'étais bien entendu avec Verre-en-Main et les autres. On avait passé la majeure partie de l'après-midi à discuter de n'importe quoi lorsque Vau-l'Eau me demanda à brûle-pourpoint ce que je faisais dans la vie.
- Oh, des trucs, répondis-je sans me mouiller.
- Comment, tu ne sais pas qui c'est ? s'exclama Cul-Sec, vantant la marchandise. C'est un humoriste. Il fait des dessins terribles : des gens coupés en morceaux, des bébés cloués sur des portes, des pièces de théâtre où les acteurs sont envahis par la merde..."

dimanche 28 avril 2013

Entrée-Plat Désert

Oeuf Mayo - Avant-dernière entrée -
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Ainsi, donc, où en étions-nous ? Ah oui, les bars dits "branchés" (éructation), que nous pourrions aussi appeler les non-rades (TM) pour simplifier le propos, quoiqu'en fait non puisque l'univers de ce qui n'est pas rade est quand même un peu fourni en objets autres que ces établissements-voués-au-plaisir-endogame de clones-à-la-page-et-sans-curiosité, mais enfin, imaginons une proposition du type suivant, appliquée aux établissements de limonade :

Si [Ouvert à tous] alors [Rade].

Et sa proposition contraposée :

Si [Non-rade], alors [Ghetto].

Voilà, c'est plus clair, on s'est compris. Merci les espaces vectoriels, la logique et notre manuel de mathématiques favori. Les Non-rades, donc, sont-ils tous bons à jeter ? Pas si certain, comme je l'esquissais dans une précédente note. Pourquoi ? Simplement parce que nous sommes tous des êtres vulnérables, et qu'il peut donc nous arriver, comme à tout le monde, une fois par mois, par an ou par existence, de ne pas-avoir-trop-envie-de-se-prendre-la-tête, c'est-à-dire, de préférer faire un non-choix plutôt qu'un choix, d'opter pour la facilité, à savoir :

- Savoir par avance ce que la personne croisée "au hasard" (notion à relativiser en l'espèce, donc) 
en ce lieu va nous dire, voire de quoi elle va parler, voire de quelle manière elle va nous aborder.

- S'assoupir en évidences, ne rien risquer (ni mauvaise rencontre, ni belle rencontre), en sachant par avance qu'il est peu probable, du coup, qu'on en retire quoi que ce soit,
hormis un sentiment de confort un peu gras-du-bide, qui peut avoir son intérêt.
Sauf, si bien sûr, l'objectif de la soirée est de se faire confirmer par autrui ce que nous pensions déjà, ou encore de lever tranquille de la poule conforme ou du cousin idoine.

- Espérer éviter à tout prix, ou au moins minimiser ses chances de passer pour un gland (parce qu'on se sera trompé de code), une victime toute désignée (parce qu'on sera tombé sur un tordu), voire une énorme ordure (parce qu'on aura profité du décalage cognitif pour arriver à ses fins - auquel cas, nous serons devenu le tordu, et notre malheureux interlocuteur la victime expiatoire.)

Rien à dire, nous sommes humains, ce type de désirs peut décemment se former en nos esprits, un soir de fatigue, un peu comme on allumerait la télé en se vautrant en sofa, deux tranches de pain, une saucisse froide et peut-être quelques rognures d'ongles en guise d'ingrédients pour la tambouille. Alors, et dans ce cas seulement bien sûr, il peut être envisageable, pour une fois, de ne pas allonger sa foulée à l'approche d'un de ces taudis d'imagination, d'une de ces boîtes à assoupissement social qu'on nomme "bars branchés". Les plastiquer tous, donc ? Non.

Cette conclusion à une réflexion spontanée entamée il y a une petite dizaine de jours (quand on commence, riche de moins de dix posts, à s'auto-référencer, ça sent le sapin, je vous le concède), portant à l'origine sur l'état d'esprit du passant assoiffé à l'approche de tel ou tel établissement ("Maison", bar lounge, bar communautaires, rade, bouge, etc.), m'autorise à son corps défendant une nouvelle digression, une petite échappée disons vers un terrain que j'affectionne autant qu'il constitue à l'origine le moteur, le prétexte impulsif de ce blog-en-2013 : la préface.

Je le sens, vous avez lâché, là : 
"Mon dieu, vous dites vous, mais quel rapport entre la proximité d'un bar, 
où vous pouvez ou non entrer, et...
Un instant de silence, je sens que vous avez saisi. 
Et oui, l'abord, l'extérieur, ce-qu'on-peut-voir-depuis-la-rue,  et...
Oui, ça va, ne vous énervez pas, revenons-en à mon propos, si vous voulez bien.

La préface, donc. En discutant, comme ça, avec mon-Editeur (nous discutons souvent, "comme ça", avec mon-Editeur, lors de nos entrevues, l'un avançant une idée sans l'imposer, comme pour ne pas effrayer l'autre, puis scrutant avec une impatiente nervosité le faciès de son vis-à-vis, comme si nous étions deux alliés de circonstance, toujours un peu circonspects quant à nos rôles respectifs - "comme ça", donc, en mimant la légèreté ("ce n'est qu'une idée, hein, qui m'est venue comme ça") alors même que la proposition nous emballe sévère, l'un ou l'autre, voire les deux d'ailleurs, parfois), ce dernier avait évoqué la possibilité de "commander" une préface à un auteur déjà un peu posé. 

La chose pouvait paraître absurde, voire opportuniste, un peu comme quémander une cooptation, dans le pire des scénarios, de la part d'un auteur qu'on ne connaît pas vraiment mais accepterait d'associer son nom à la retape. Pour un premier roman, donc, un premier texte. Très Américain, très bandeau : "Ce livre est vraiment super", payé bonbon à Harlan Coben ou Bret Easton Ellis. Certes. Pour autant, l'idée était tentante et, personnellement, je savais déjà très bien à qui j'avais envie, comme une évidence, de demander ce petit service gigantesque.

Pour des raisons commerciales ? Pas tant que ça. Si, bien sûr, il y a forcément un peu de ça, ou plus simplement une envie de se rassurer par avance, de se rassurer sur la qualité de son produit (parce qu'on est une petite chose, au fond), puis, du coup, de rassurer quelque peu aussi l'hypothétique lecteur tombant sur le machin sur un étal en proposant cinquante autres. "Ah ouais, tiens, Bidule parraine le texte [c'est un peu ça, en réalité], je vais peut-être me laisser tenter." Bien entendu, donc, il y a, d'une certaine manière, un peu de cela là-dedans.

Pour autant, concernant le livre en question, et ma démarche en particulier, il ne s'agissait pas d'espérer bénéficier de cette sorte de "coup de pouce" de la part de n'importe qui, d'une célébrité littéraire même croisée en telle ou telle occasion et avec laquelle le courant était (plutôt) bien passé, d'un "nom" qui claquerait forcément fort, mais plutôt de quelqu'un que j'avais parfaitement identifié dès la proposition débordée ("comme ça") des lèvres de mon-Editeur, quelqu'un que notre Très-Grande-Humilité à tous les deux m'empêche tout à la fois de nommer ici et, plus encore, de couvrir de compliments - il lit peut-être ce blog-en-2013, je ne voudrais pas le gêner.

Ah ouais, alors, ce n'est pas du tout une Grande-Signature, plutôt un pote de murges ? C'est là que la chose devient vraiment étrange : en fait de belle signature, honnêtement, le bonhomme se pose là, pas de problème. Mais en l'occurrence, c'est surtout une signature très signifiante, et à plus d'un titre : 

- Son propos, son sujet, tout d'abord, qu'il développe à longueur de livres depuis qu'il s'est mis à écrire. 

- Notre relation ensuite qui, certes, s'est un peu beaucoup tissée au fil des échanges-au-zinc, comme une délicate évidence, depuis que j'ai, sur le tard, mis le pied dans ce qui est aujourd'hui mon métier, et m'amène à traîner en sphère littéraire. Quasiment dès le premier jour, dès ma première sortie en Salon-du-Livre, une drôle d'étincelle qui ne se définit pas, sans tomber en mièvrerie, c'est-à-dire en métaphore amoureuse. Restons-en donc là, ne jouons pas les gamines.

Résultat des courses : l'Ecrivain-confirmé a fait un peu plus qu'accepter ma timide proposition ("dis, de manière purement théorique, de principe, un jour peut-être, tu aurais le temps, et le conditionnel est mon meilleur ami en ce moment, accepterais-tu, éventuellement, de peut-être, si l'idée prend consistance, et dans un futur indéterminé, de rédiger une préface à mon texte ?"). Ledit texte introductif illumina hier soir ma messagerie électronique - rond, sculpté, impeccable y compris dans ses nœuds sensibles -, et me voici désormais doté - sept mois avant l'ouverture de mon bouge, donc - d'une devanture plutôt classe, d'une enseigne aux petits oignons qui, mieux encore, ne rutile pas tant qu'elle invite franchement à la visite de courtoisie. Pour Voir.

Ma vitrine, ma préface, s'annonce exactement semblable à ce que j'avais imaginé - en mieux, même -, mais je vais maintenant être contraint de la bâcher de plastique jusqu'au jour du Grand Opening. J'en chialerais.