mardi 1 juillet 2014

Uropathie

Urine - 
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Imagine donc un peu ce joli Monde qu'on nous tisse. Imagine un peu, minot, et puis ferme donc logiquement la lumière sans user d'un interrupteur.

L'Inversion-foireuse, par lointain cousinage avec l'Inversion-Maligne dont causait Tournier bien plus poétiquement dans son Roi des Aulnes - qui date de 1971, tu vas comprendre -, consiste à - je te jure, tu vas comprendre - prendre un rapport professionnel quelconque, amical, logique disons, puis à le distordre pépère jusqu'à le transformer en une sorte de bracelet brésilien radioactif - disons, encore - auquel plus personne ne pige rien. Ok, c'est incompréhensible. Prenons des exemples, et la Lumière fera.

Vous êtes locataire. Votre agence vous prend pour un con, c'est-à-dire gloutonne vos loyers sans jamais vous répondre. Normal, disons. Puis vous êtes confronté à un vrai problème, sans être d'un naturel particulièrement ninja. Six mois plus tard, rien n'a bougé - vos paiements en temps et en heure, en revanche, n'ont pas connu le moindre relief de dysfonctionnement. Enfin, pas ninja mais tout de même, vous appelez les gens pour vous plaindre. Nous sommes entrés depuis trois mois en urgence hivernale et vous n'avez toujours pas de chauffage à domicile, mettons. Réponse de votre interlocuteur : "Ah oui, effectivement, je saisis fort bien votre trouble [il ne s'agit pas d'un trouble en l'occurrence, mais d'un sursaut de survie], nous allons voir si nous pouvons faire un geste." Vous ne savez pas trop de quoi l'on cause, à l'instant, mais sentez pourtant, disons, plutôt inconfortable, une dizaine de bras infiltrés à l'instant dans vos bas-fonds proprets-dans-la-mesure-du-possible. Votre logeur a fait un geste, pas celui dont vous rêviez. Celui qu'il vous impose : ne pas trop bouger tandis qu'il vous ignore. Soudain, vous êtes le papier peint de l'appart pour lequel il vous fait payer, tout ceci sent fort le roussi.

Autre exemple. Vous bossez quelque part. Vous y bossez depuis un bail, mais sous l'étiquette d'un prestataire extérieur - vous bossez dans un théâtre, à la télé, peu importe, ça revient précisément au même. Votre "supérieur hiérarchique" - qui n'en est pas un, techniquement, puisque vous n'êtes pas stipendié à la même source, mais peu importe, le temps a passé, vous faites partie de l'équipe quelles que soient les raisons contractuelles de votre arrivée - se met en pause, pour une raison existentielle importante. Fort logiquement, on vous propose de prendre le poste, parce que bon, hein, tout ceci serait plus simple - les gens payés pourtant largement plus grassement que vous n'auraient pas à justifier leur salaire en recrutant quelqu'un d'autre, vous faites partie des murs, et, pire encore, pourriez vous emparer à bras raccourcis du boulot sans que rien ne vacille, puisqu'il se trouve (crétin) que vous êtes compétent, parce que vous n'avez jamais eu pour ambition de saloper un boulot dont vous savez qu'il vous fait - modestement, certes, mais tout de même - vivre. C'est du bordel pour vous, d'autant plus qu'il n'est pas vraiment question de vous payer plus - d'ailleurs, tiens, le sujet n'a même pas été abordé. Et que ça vous ligote, alors que bon, même si la flexibilité du travail, vous le savez, n'est pas une panacée sauf pour le Medef, là, bon, logique, vous vous y êtes fait, jusqu'à penser, ben tiens, que de cette flexibilité imposée par le système vous pouvez bien vous faire une chouette liberté vous permettant de vous épanouir ailleurs - dans des projets, une grossesse, de bonnes vieilles soirées, peu importe. Nonobstant, puisque vous n'avez pas répondu, ambitieux, à l'appel boiteux d'un simple "mais oui génial, j'ai toujours rêvé de perdre ma liberté imposée (à laquelle je me suis fait, hein), sans savoir si je serais mieux payé, pour favoriser l'équipe et autoriser ceux qui devraient le faire à ne pas faire leur boulot, vraiment, j'avais deux rêves enfant, tiens, justement, monter un poney violet aux cheveux d'or et sauver une équipe dans un climat social ultralibéral à la limite supérieure de l'agressivité teintée de tendresse professionnelle (j'étais précoce quant à mon avenir, disons, tout en conservant une part de poésie équidée)", tout le monde autour de vous, du jour au lendemain, vous en veut un peu. Putain, je savais pas que tu la jouerais si perso.

Inversion-foireuse dans les deux cas (pardon, c'était un peu long). Les mecs que tu paies pour loger quelque part doivent décider en comité restreint s'ils doivent faire le geste commercial de t'allouer un logement décent. Les mecs pour qui tu bosses pour un salaire de misère certes occidentale s'étonnent de ne pas te voir ouvrir tes fesses avec un sourire coquin lorsqu'ils t'offrent la possibilité de t'élever pour un temps bref dans un organigramme qu'ils ne te proposent pas de rejoindre de manière définitive. Ton banquier, auquel tu paies de gras agios depuis bientôt deux décennies à chaque mauvais faux pas budgétaire s'autorise à te faire la leçon parce que tu dépenses plus que ce que tu gagnes (les agios, en l'occurrence, ne devraient-ils pas avoir pour vocation, puisque tu les paies, de te dispenser de conseils paternalistes ?). Ton éditeur te remercie de l'avoir invité à la soirée que tu as organisée pour la sortie de ton livre. Ta mère, disons, te remercie d'avoir fait toutes les courses sur tes propres deniers entre tes 2 et tes 7 ans.

Oh mon dieu, je mets une flaque d'urine enregistrée au microscope 1/100 000 en couverture du message, et ne donne toujours pas la moindre piste sur le lien entre mon propos et l'illustration (en même temps, vous avez compris, non ?) Parce qu'en soit, l'inversion-foireuse n'est qu'un symptôme, hein. Le symptôme d'une société de postures franches (antithèse, vous l'aurez noté), où très étrangement, et je pèse mes mots, les gens qui font semblant d'être pèsent toujours socialement un peu plus lourd que les gens qui sont. Ce soir (j'ai des soirées passionnantes, vraiment, sans déconner), j'ai eu l'occasion d'avoir un petit échange sur la différence entre les gens qui prennent leur fonction à cœur (être père, mari, fils, patron, journaliste, barman, laveur de vitres), en tous points louables - même si, bon, pour être un bon professionnel en n'importe quel domaine selon moi (y compris la pat-maternité), il me paraît nécessaire à tout instant à la fois de prendre à cœur cette fonction tout en questionnant sa légitimité à endosser ce rôle, exercice épuisant par définition - - cette phrase est drôlement longue, pardon -et ceux qui misent tout sur la posture.

D'ailleurs, ma discussion d'hier soir tournait autour des mêmes sujets (mais je suis sympa dans la vie, faut pas croire, et même une fois, j'ai rigolé) : 
- Je suis écrivain. La preuve, j'ai écrit un livre.
- Je suis éditeur. La preuve, j'invite des gens parfois dans des bars à putes.
- Je suis père. La preuve, j'ai deux filles.
- Je suis entrepreneur. La preuve, j'ai Sofinco comme client.
- Je suis amoureux. La preuve, je couche avec ma nana.
- Je suis schizophrène. La preuve, des fois, je sais plus ce que je dis.

Postures, postures, postures. La posture, finalement, c'est un peu comme un goût déférent pour la fonction qui s'arrêterait en cours de route. Une négation donc de celle-ci, précisément parce qu'on a préféré papillonner en route.
- Mon livre a marché, même si je n'en suis pas fier.
- Cela dit, ma maison d'éditions coule du fait des notes de frais.
- Mais j'arrête pas de niquer à côté.
- Ah oui, en revanche, je paie tous mes voyages avec la carte de la boîte.
- Ce qui ne m'empêche pas de draguer d'autres filles.
- Mais bon, je suis pas non plus taré.

Ben les gars, hein, dans ces cas-là, n'hésitez pas une seconde à cesser d'être écrivain/éditeur/père/entrepreneur/amoureux/poseur, même vous vous n'y croyez pas, tout préoccupés que vous l'êtes à vous ériger vos propres statues du Commandeur sur un sol qui n'était pas si marécageux, si boueux, si fragile avant que vous ne commenciez à lui pisser autour en dansant la gigue. N'hésitez pas une seconde à cesser d'être tout ça. Et trouvez vous un hobby.