mercredi 22 mai 2013

Le Troquet Général, par Sébastien Lapaque


Baby Foot - Avant-dernière entrée -
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Dans son "contre-journal" titré Autrement et encore, paru le mois dernier chez Actes Sud, l'érudit harangueur Sébastien Lapaque regrette des tas de trucs - notamment le service de la Limonade au temps du Général.

"Destruction des cultures populaires, dites-vous ? Qu'on songe à toutes ces fermetures de cafés en France, remplacés par des banques, des marchands de téléphones portables, des bars branchés ou des chaînes aseptisées façon Starbucks. Dans la France de Charles de Gaulle, vieux pays frémissant de gouaille et d'apéro, il y avait 200 000 cafés ; dans la France d'après, il en reste 30 000 à 35 000. Aux naïfs tentés de s'en féliciter au nom de la lutte contre l'ivrognerie et le tabagisme, on rappellera que la fermeture du troquet du coin, celui que l'on fréquentait jadis à la sortie du lycée, n'empêche ni l'alcoolisme ni la consommation de tabac chez les jeunes. Ce qui se perd, avec les troquets, c'est cet "autrefois du monde humanisé" dont parle joliment Baudouin de Bodinat* : les conversations impromptues, les rencontres imprévues, les controverses interminables. Il n'y avait pas que les vapeurs d'alcool et la fumée des cigarettes dans les cafés de notre jeunesse perdue. Il y avait des romans et des journaux posés sur la table ; le flipper et le baby-foot ; ces filles auxquelles on n'osait pas adresser la parole, ces habitués dont on ne connaissait ni le nom ni les occupations. Et tous ces gens qu'on n'aurait jamais rencontrés ailleurs. Et ces jeux permanents avec les mots du boire, ces inventions langagières à la générosité infinie. Le café, on l'appelait le bistrot, le rade, le troquet, la crèmerie... Au patron, on demandait de remettre une rafale, de rhabiller les orphelins, de remonter l'ascenseur, de recharger les accus... Et à l'heure de la fermeture, on buvait le coup de l'étrier, que le maréchal de Bassompierre, sous le règne de Louis XIII, recommandait de boire dans sa botte." 

* Cf. La Vie sur Terre. Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes, tome I, de Baudouin de Bodinat, éditions de l'Encyclopédie des nuisances, 1996.

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