mardi 10 juin 2014

Vœu Rouge

Feu tricolore - 
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Dans mon nouveau quartier (ouais, je déménage pas mal, t'vois ?), il y a un feu tricolore devant mon nouveau rade. (A ce moment précis, tu imagines la tête du lecteur, qui a attendu d'abord quatre mois, entre le 16 septembre 2013 et le 27 janvier 2014, que ce Blog-en-2013 s'anime, pour finalement se rendre compte - ah oui d'accord - qu'il ne servait qu'à faire la Promo-avant-la-Lettre de la sortie d'un livre, et puis qui s'est encore emmanché plus de quatre mois (c'est un tétramestriel quoi), avant de lire, ému, frétillant, cette phrase : "Dans mon nouveau quartier, il y a un feu tricolore devant mon nouveau rade." S'il est armé, et je ne lui en voudrais pas depuis le temps (l'espoir fait vivre, le sevrage forcé visiter son armurier), il a envie de tirer sur quelqu'un, mais c'est numérique, tout ça, il ne peut pas, alors il tire en l'air et ça lui cause un dégât des eaux (il vit dans un duplex, bon, oui bien son immeuble est sacrément mal branlé), alors il est encore plus agacé mais bordel, sérieux, qui lui a demandé d'attendre en fait ? Cela dit, tu lui présentes tes excuses parce que bon, névropathe ou pas, tu l'aimes au fond de ton cœur.)

Dans mon nouveau quartier, donc, alors même que j'avais mis environ douze minutes à dénicher l'Ethnique de Feu-mon-Dixième puis quelques bonnes semaines à tomber - enfin ! - sur le Café-Schneider-de-Feu-mon-Dix-Huitième, je n'ai pas eu besoin de beaucoup plus que de seize secondes à faire mien (à prendre pour rade, disons) Le Gastéropode, refuge solide et bazardeux sis, manque de pot, environ juste en bas de chez moi. J'apprécie d'habitude un peu plus de distance entre l'endroit où je dors et celui où je m'assomme, évidemment, l'idéal s'établissant généralement autour de trente-cinquante mètre, mais là, non, c'est vraiment dix mètres, miséricorde (et cette précision n'est pas beaucoup plus passionnante que l'histoire du feu tricolore, certes.)

Allez, pour la peine, ce post débutant de manière beaucoup trop catastrophique, on éteint son ordinateur et on file dans son pieu, ou bien, ou bien, ou bien, on écoute ça, on maugrée sévère, et puis on continue - quitte à se le passer plusieurs fois, promis, ça glisse mieux. Y a du Dong-dong, un clin d’œil larvé à Steve Buscemi et Daniel Clowes, et un hommage au temps qui coule, c'est bien aussi.


Mais pourquoi cette histoire de feu tricolore, sérieux ? Bonne question. Mais comprenez-moi un peu, aussi. L'Ethnique était situé dans une quasi-cour pavée, sans passage de caisses, le Café Schneider à un angle de pâté certes, mais peu fréquenté, et donc sans aménagement de voirie particulier. Là, bam, un feu tricolore, juste devant le rade. Et je suis fumeur. Alors je m'y pose après chaque pinte, tranquille, saisissant soudain tout ce que le Loup de Tex Avery, tapinant de sa queue poilue au pied d'un tel accessoire urbain (n'était-ce pas une horloge plutôt ? Peu importe, il n'y en a plus dans les rues - ah oui d'accord) voulait nous signifier.

Ben ouais. Quand on y pense - et faut le vouloir certes, y penser -, le feu tricolore, c'est un peu comme une horloge qui ne donnerait pas l'heure. Un truc qui marque le temps, le découpe et l'impose au monde environnant, mais sans jamais faire dans le détail. D'ailleurs, vous savez, vous, combien de temps dure un feu rouge ? Moins qu'une clope, je peux vous le dire, mais plus qu'une gorgée. C'est bon, parfois, de retrouver pied à terre en reprécisant quelques évidences. Là, normalement, vous pouvez me demander mon adresse, pour venir me flinguer : vos yeux saignent et votre moral boîte, vous vous accrochez mais non, tout de même, le mec ne va quand même pas nous faire du Comte-Sponville sur le mobilier urbain, si ?

Ah mais si, fiston. Le découpage du temps, c'est important, tu sais. Ça part un peu dans tous les sens en apparence, à l'instar de ce billet, mais au fond, et contrairement à lui, c'est arithmétique comme une baignoire ou un train. Regarde : je suis certain que tu sais faire la différence entre une soirée de six heures divisées en, disons, huit pintes (soirée normale en bas de chez Toi), la même - même durée - découpée en six tranches de vin blanc (on s'ennuie un peu mais pas grave, on drague), quatre whisky-coca (boîte de nuit au ski, disons), une assiette de raviolis en boîte (tiens tiens, tu viens de t'enchaîner trois films ou sept-huit épisodes de ta série, pas vrai ?) ou trente-neuf coupes de champagne (oh, un mariage).

Bon, là, tu vois mieux. Disons que dans ces différents cas, et respectivement, une heure mesure 1,33 pinte, 1 verre de vin, deux tiers de whisky-coca, un sixième de boîte de raviolis (soit sept raviolis si tu me permets d'évaluer la contenance de ladite conserve à quarante-deux unités) ou 6 flûtes et demi de mousseux (mes félicitations). Ou encore, à l'inverse, une pinte dure quarante-cinq minutes, un verre de vin une heure (vas-y, fais quelque chose), un ravioli huit minutes et demi (ils vont refroidir), et une coupe de champ un peu moins de dix minutes (tu vas chauffer).

Pour les feux tricolores, c'est un peu la même chose. Sauf que, problème, et comme l'indiquait Zaraki Kenpachi il y a environ un an sur le forum Yahoo Questions/Réponses (j'ai mes sources), réagissant tel le guépard à la question :

CIRCULATION AUTOMOBILE : Aux feux tricolores, quelle est la durée du feu orange indiquée par la réglementation?

Et je cite : "Chez moi, tous les passages "du orange au rouge" durent exactement trois secondes. J'ai déjà vérifié leur durée avec ma montre [ndlr : j'aime ce mec, qui va vérifier précisément le truc avec sa montre, parenthèse close]. Quant à la durée du feu rouge, ça dépend effectivement des voies de circulation concernées, et de leur fréquentation. A Sète, je connais un feu rouge (déclenché par une bobine détectrice) qui ne dure pas plus de dix secondes pour laisser passer les gens sortant d'une impasse en côté, difficile à quitter pour s'insérer sur la route. Au lieu d'avoir mis une simple priorité à droite que personne n'aurait respectée, on a préféré placer un feu pour ne pas faire de compromis. D'autres feux rouges (ex : boulevard Camille Blanc) durent pratiquement deux minutes à cause du nombre important de voies."

Cette histoire de bobine détectrice (le graissage des expressions est de mon fait, j'aime intervenir sur le texte en tant que démiurge même lorsque je cite quelqu'un d'autre) me plonge dans une consternation angoissée à la limite de la paranoïa, mais passons. La prochaine fois, je descendrai boire avec mon chronomètre, et puis voilà. Histoire de comprendre combien de temps, devant Le Gastéropode, s'écoule entre le rouge et le passage au vert, et puis voilà.

Plus intéressant (ah oui ? tiens donc), je découvre par cette nouvelle confrontation Homme-Soûl / Machinerie-Intraitable, une toute nouvelle population de Spectateurs-du-Rade, c'est-à-dire de personnalités riches non-conviées à la fête (puisque non-clientes), mais néanmoins contraintes, faute de mieux, de laisser leur regard effleurer la scène, les yeux mous. J'ai nommé : les-Gens-dans-leur-voiture-qui-attendent-au-Feu-Tricolore (si Bénabar me pique l'idée j'égorge un trentenaire pris au hasard dans la foule).

Et ben, croyez-moi ou pas, mais ils-sont-passionnants (pendant qu'on fume au moins). Il y a ce type qui se met à fredonner l'air reggae relou qui passe dans le zinc au moment précis où il s'est arrêté (promis, ils passent d'autres trucs), et ira l'emporter loin là-bas, après retour de la verdeur dans la machine de voirie (un peu comme un printemps électronique, allons-y franchement), jusqu'à Pigalle pourquoi pas, ou jusqu'aux Lilas je ne sais pas, et fera peut-être ce soir-même l'amour à sa copine, à la fiancée de son grand-frère ou à son meilleur ami au rythme précis de ces notes, va savoir.

Ces trois types, aussi, posés le cul sur leurs banquettes, regardant mal un peu partout, espérant sans doute commettre une action terroriste d'éclat avant la fin de la soirée, l'esprit pas mal ensuqué par la séance de chauffe, et qui finiront probablement précisément où leurs pires desseins et ambitions les auront traînés, aka en boîte de nuit.

Cette dame qui me regarde mal, aussi, postée place-du-mort, la moue boudeuse tandis que son bonhomme renvoie une trogne non moins mal embouchée au rétroviseur latéral gauche. La soirée, pour eux, promet d'être pénible et marécageuse, ou bien sauvage et amoureuse, allez savoir après tout, comment les gens s'arrangent entre eux, revenus dans leurs mansardes.

Moi, j'ai fini mon clope. Merci à toi, fredonneur des Lilas, à vous trois, assassins des dancefloors, à vous deux, couple culs tournés, de m'avoir accompagné en ces quelques instants... minutes ? secondes ? Bordel, mon chronomètre est paré, je ne le quitte plus c'est promis. Et pour toi, Zaraki Kenpachi, et même toi, Bénabar, quelques pas de côté lascifs et je m'enferme à nouveau devant mon livre au Gastéropode. Un feu tricolore n'est fascinant que quand il est au rouge - le reste du temps, c'est comme s'il n'existait pas.

2 commentaires:

  1. Calculer les fréquences d'un feu clignotant orange... :-)
    http://www.pixar-planet.fr/psd/capture_perso/cars/fillmore1.jpg

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  2. Ben ouais, faut bien s'occuper, quoi. En juin tout particulièrement. D'ailleurs, juin arrive bientôt, c'est une bien belle nouvelle pour la contemplation des feux orange.

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