vendredi 10 mai 2013

Un Zinc à Canaille, par Benoît Duteurtre

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Râleur professionnel, Benoît Duteurtre, dans ses Polémiques (Fayard), sait aussi causer bistrots quand il conspue les poussettes. Parce qu'autrefois, les premiers se portaient fort bien sans les secondes, les vaches étant ainsi mieux gardées.


"Une victoire dont se réjouissent les partisans de l'interdiction du tabac dans les lieux publics est l'augmentation de la "clientèle familiale", désormais triomphante dans les cafés et les restaurants. De fait, on voit désormais ces établissements se transformer en jardins d'enfants où d'énormes poussettes occupent l'espace entre les tables, et où les bambins éberlués donnent de bruyantes aubades. Auprès d'eux, les "mamans" et les "papas" se livrent à de permanents allers-retours entre la table de bistrot, où ils amorcent des bribes de conversations, et l'engin à roues vers lequel ils se penchent pour distraire leur bébé, répondre à ses revendications, lui tendre des biberons, des jouets, des tétines qui parviennent rarement à le calmer.

Autant l'avouer : je préférais l'odeur du tabac à ce fumet de fesses enfantines. Les adolescents d'autrefois trouvaient dans les bistrots un parfum de liberté. Le comptoir en zinc avait un côté canaille qui tranchait avec le ronronnement de la vie de famille. On y découvrait un environnement d'adultes parlant de tout et de rien en picolant. Le flipper et le juke-box apportaient un petit air américain agréablement mêlé aux habitudes franchouillardes, comme le présentoir d’œufs durs, le ballon de côtes-du-Rhône, le croissant et le "grand crème". Le café représentait la ville, la liberté, la rencontre imprévue. Nul adulte n'aurait osé imposer dans ce décor la présence de familles, de bébés ni de poussettes.

Aujourd'hui, presque partout, le bistrot s'est transformé en lounge où l'on vous conduit directement à votre place, un peu trop isolée. La plupart des comptoirs ont disparu. Mais, dans le même temps, l'invasion des parents et des enfants a transformé ces lieux canailles en doucereuses annexes de Disneyland, qui redessinent les villes à la gloire de la reproduction. Voilà pourquoi j'ai cessé de fréquenter les cafés afin d'échapper aux familles (...)"

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